Patron du service des sports de la RTBF pendant près de vingt ans, Michel Lecomte vient de partir à la retraite. Dans un livre souvenir, il passe sa carrière en revue, marquée notamment par l'inflation des droits télévisés.
Michel Lecomte, l’emblématique directeur du service des sports de la RTBF, tire sa révérence. Du drame du Heysel aux Diables Rouges en passant par Justine Henin, les Borlée ou l’affaire Armstrong, il a couché sur papier (1) les souvenirs d’une carrière de 40 ans au service d’une passion de plus en plus dominée par l’argent des droits télé.
Sous votre houlette, la RTBF a beaucoup investi dans le sport. Parfois trop, disent ses détracteurs…
Avec la Suisse, la RTBF doit être le service audiovisuel public européen qui propose la plus grande offre sportive. C’était une volonté de l’administrateur général, Jean-Paul Philippot, à son arrivée en 2002. Est-ce trop? Je ne pense pas. Le sport représente en moyenne 6% du budget de la RTBF (382 millions en 2019, NDLR). C'est raisonnable et cela fait partie de nos missions de service public: rendre accessible au plus grand nombre des événements fédérateurs. Songez que nous dépassons parfois les 80% de parts d’audience lors des matchs des Diables Rouges! Cela renforce l’attractivité de la RTBF et lui permet de capter du public pour d’autres programmes.
La RTBF a en effet une offre très riche, mais depuis 20 ans, c’est RTL qui diffuse la Ligue des Champions. Un camouflet?
On ne peut pas tout avoir. On a les J. O., les Diables Rouges, la Coupe du Monde, le Tour de France, les classiques cyclistes, etc. Il faut aussi avoir les moyens de rebondir sur d’autres sports quand des Belges s’y distinguent comme le hockey, le basket féminin, le tennis au début des années 2000. Quant à la Ligue des Champions, je dirais que RTL a le prestige et nous la proximité avec l’Europa League où les clubs belges ont plus l’occasion de briller. Les audiences sont d’ailleurs assez comparables.
Et la F1? Doit-elle être diffusée sur la RTBF alors qu’on peut la voir gratuitement ailleurs et qu’il n’y a pas de pilote belge?
C’est vrai, mais il y a le circuit de Spa Francorchamps, déterminant dans cette stratégie. Et puis, contrairement au Flamand, le francophone est très intéressé par la F1 et les sports moteurs. J’ajoute que le dernier contrat n’a pas vu exploser les coûts, c’est nettement l’inverse. Que ce soit avec la F1 ou d’autres sports, on est arrivé à un plafond. Avec la crise, il y a de moins en moins d’argent. Les détenteurs de droits devront s’y adapter.
"Avec la crise, il y a de moins en moins d’argent. Les détenteurs de droits devront s’y adapter."
Quand on voit ce qui se passe avec Mediapro, qui a acquis les droits du foot français pour 820 millions par saison mais qui est incapable d’honorer son contrat, il y a une bulle qui a éclaté, non?
C’est ce que je disais: on est arrivé à un sommet. Le cas Mediapro est un énorme échec, c’est une leçon. À vouloir trop gagner, on risque de tout perdre. Je suis surpris que les professionnels censés évaluer ce contrat n’aient pas obtenu les garanties nécessaires pour son exécution. Chez nous, tout est analysé, sous-pesé. Et c’est bien amorti par la pub et le sponsoring. On n’a jamais cassé notre tirelire. Je me souviens qu’au début des années 2000 un intermédiaire était venu me vendre des matchs européens avant même d’en connaître l’affiche! Dans le nord, où il y avait une concurrence terrible entre les chaînes, il était parvenu à les vendre à plus de 380.000 euros le match. C’était de la folie.
"Chez nous, tout est analysé, sous-pesé. Et c’est la plupart du temps amorti par la pub et le sponsoring. On n’a jamais cassé notre tirelire."
Vous vous souvenez de vos débuts dans la négociation des droits?
C’était hyper stressant, je me demandais comment j’allais y arriver. Heureusement, ma direction m'a toujours soutenu. Mais la négociation, c’est plus que des chiffres, c’est évaluer la concurrence alors que chacun cache son jeu, c'est aller chercher l’info. Il y a un petit côté excitant. On tisse sa toile au fil du temps. Je me souviens avoir loupé l’Europa League en 2009, car on avait joué la montre pour payer le moins possible, mais on n’a pas vu venir AB3. Sur le coup, on avait été présomptueux.
Il n’y a que l’argent qui compte ou bien la mise en valeur du produit joue aussi?
Les détenteurs de droits demandent toujours aux candidats une offre qualitative mais in fine seul importe le montant que vous mettez sur la table. TF1 achète un match, met de la pub autour et c’est tout; mais il l’emporte, car il met plus d’argent. Nous, on fait du magazine, de l’analyse, mais ce n’est pas cela qui fait la différence. Je me rappelle d’un entretien avec Bernie Ecclestone (l’ancien patron de la F1): il me disait qu’il ne changeait jamais de voiture quand il en était satisfait. C’est du pipeau: si on met plus de sous, il changera de voiture. Et donc de diffuseur!
"In fine, seul importe le montant que vous mettez sur la table."
Les Gafa commencent à acquérir des droits sportifs. Ne risquent-ils pas à terme de tout rafler?
Vu leurs moyens, ils sont plus forts. Ils ont déjà acquis certains droits qu'ils testent. Mais nous avons un grand atout qui nous avait déjà protégés lors de l’arrivée des chaînes à péage: la législation de la Fédération Wallonie Bruxelles qui impose que les grands événements sportifs d’intérêt général comme les Diables, les classiques cyclistes, les J. O., la Coupe du Monde, etc. doivent être diffusés gratuitement sur des chaînes généralistes.
(1) « Mes arrêts sur image », Kennes Editions, 175 pp.
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