Partage de la valeur
Dividendes et salariés, un oxymore bientôt transformé en analogie ? C’est en tout cas ce sur quoi travaille le gouvernement. Avec une inflation qui devrait atteindre plus de 5 % sur l’ensemble de l’année, des salaires à la traîne – la Dares évalue la baisse des salaires réels dans le secteur privé à 2 % au troisième semestre –, des dividendes monstres perçus par les actionnaires du CAC 40, la gronde sociale n’est pas en passe de redescendre. En témoignent, les nombreux conflits qui ont lieu cet automne, des employés de TotalEnergies à la RATP, en passant par Geodis. Les revendications allaient d’une simple augmentation des salaires nets à une indexation de ceux-ci sur les prix. Si le gouvernement a balayé d’un revers de manche la deuxième et renvoyé la première à des négociations internes, il avance ses pions sur un autre dossier qui permettrait, selon lui, un «meilleur partage de la valeur» : le dividende salarié. Emmanuel Macron, Bruno Le Maire, Olivier Véran et Elisabeth Borne se sont succédé pour vanter les mérites de cette mesure vouée à apaiser les tensions sans peser sur les coûts fixes des entreprises. «Vu que le gouvernement ne se prononcera jamais en faveur d’une indexation des salaires sur l’inflation, il lui faut trouver des gadgets pour répondre à la critique d’être acquis à la cause des entreprises», analyse Henri Sterdyniak, économiste à l’OFCE et cofondateur des Economistes atterrés.
Mais le dividende salarié, c’est quoi ?
«Le dividende salarié c’est le profit pour tous», résumait ainsi le ministre de l’Economie. Le projet, qui figurait au programme d’Emmanuel Macron, a été remis au premier plan lors de son passage de sur France 2 le 26 octobre : «Quand vous avez d’un seul coup une augmentation des dividendes pour vos actionnaires, alors l’entreprise doit avoir un mécanisme qui est identique pour les salariés.» Sur le papier, rien de plus simple : les entreprises, publiques comme privées, qui versent des dividendes à leurs actionnaires devront obligatoirement faire de même pour les salariés. Si celles-ci sont versées au prorata du nombre d’actions détenues par l’actionnaire, les contours de ce dispositif sont encore flous. Bruno Le Maire a précisé qu’il ne sera pas possible «de mettre sur le même plan la PME et le groupe international qui a des milliers de salariés», sans toutefois apporter de plus amples indications.
Quels sont les dispositifs déjà en place ?
«L’idée du partage de la valeur n’est pas nouvelle. Elle a été impulsée en son temps par le général de Gaulle avec la participation», rappelle Henri Sterdyniak. Ce dispositif obligatoire – seulement pour les sociétés de plus de 50 salariés – permet de verser à chaque employé une part sur les bénéfices de l’entreprise. En 2020, 4,9 millions de salariés en ont bénéficié pour un montant moyen de 1 409 euros.
L’intéressement, autre mécanisme en place (facultatif), est indexé sur un objectif de performance, économique, environnemental… De grosses disparités sont à noter selon la taille de l’entreprise : seulement 12,1 % des salariés de sociétés de 10 à 49 employés en bénéficient contre près de 70 % pour celles de plus de 1 000 salariés pour un montant moyen de 1 850 euros en 2020.
Dernière arrivée pour le moment, la prime de partage de la valeur, qui a succédé à la prime Macron en août. Elle vient compléter les deux autres dispositifs déjà en place. Cette aide, elle aussi facultative, concerne les salariés gagnant moins de 4 000 euros. Elle peut être identique pour tous, modulée voire réservée à certaines catégories du personnel. 700 000 personnes en ont bénéficié depuis son lancement pour un montant moyen de 730 euros.
Pouvoir d'achat
Quelle est la position du patronat ?
Théorisé par un ancien vice-président du Medef, Thibault Lanxade, le dispositif déplaît au… patronat. «Pour le patronat, l’inconvénient est le mélange de la politique salariale et la politique des dividendes, souligne l’économiste. Certaines entreprises, qui réalisent peu de bénéfice, s’endettent pour distribuer des dividendes et ainsi continuer d’attirer les actionnaires. Ce n’est pas dans leur intérêt d’avoir ce lien rigide entre actionnaires et salariés.» «Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée d’obliger toutes les TPE de France à verser obligatoirement en plus une prime», déclarait, quant à lui, Geoffroy Roux de Bézieux sur France Info.
Et des syndicats ?
Mis au ban par le patronat, le projet n’a pas franchement convaincu les syndicats. «La réaction des syndicats est compréhensible. C’est une économie au détriment de la sécurité sociale car les salariés ne cotisent pas, cela crée des disparités entre les travailleurs car certaines branches rémunèrent mieux leurs actionnaires que d’autres, enfin c’est un somme aléatoire d’une année sur l’autre, énumère Henri Sterdyniak. Pour un salarié qui fournit toujours le même effort la fluctuation de cette rémunération sera difficilement acceptable.» La CGT y voit même une entourloupe du gouvernement pour ne pas avoir à augmenter les salaires. Argument également défendu l’économiste, qui voit dans ce sujet «très technique un moyen de combattre le discours des classes».
Quel est le calendrier ?
Sur proposition du gouvernement, les partenaires sociaux ont lancé une négociation «sur le partage de la valeur dans les entreprises» le 8 novembre. Le dossier du dividende salarié est évidemment sur la table, même s’il ne semble convenir à personne. Les échanges devraient durer jusqu’à la fin janvier. En parallèle, le gouvernement évoque un projet de loi qui pourrait être adopté l’an prochain. Henri Sterdyniak est, lui, plutôt dubitatif sur la mise en place du dispositif : «Je ne vois pas d’aboutissement possible. Je vois plutôt un toilettage du mécanisme, en fusionnant par exemple la prime de partage de la valeur et la participation.»
L’exploit du gouvernement dans le dossier du dividende salarié est, peut-être, d’avoir trouvé un sujet sur lequel les positions du patronat et des syndicats convergent…
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